I N M E M O R l A M
SCEUR SAINTE-JEANNE-DU-SACRE-CCEUR (Soeur Jeanne Venne, C.N.D.) décédée le 27 janvier 1967.
« Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flute de roseau que tu puisses emplir de musique. >> Ce vœu de Tagore semble s’être réalisé dans ses moindres détails en la vie de notre chère S. S.-Jeanne-du—Sacré-Cœur.
« Une chose simple et droite »: telle nous apparait aujourd’hui cette existence centrée sur l’adhésion au bon vouloir divin, attentive à maintenir chacun de ses actes dans cette finalité verticale.
Déjà, son milieu familial l’orientait vers cette rectitude qui fut le trait dominant de son caractère. Née à Montréal le 7 septembre 1898, elle fut baptisée le lendemain en l’église paroissiale du Sacré-C0eur—de-Jésus. Nous lisons dans son autobiographie:
<< Mon père, Joseph Venne, et ma mère, Philomène Boucher, tous deux fervents chrétiens, avaient rêvé, dans leur jeunesse, fonder un foyer ou l’esprit de devoir serait en honneur. S’unissant de cœur et de volonté dans le travail, le dévouement et le sacrifice, ils firent de leur mieux l’éducation première de leurs neuf enfants, se proposant de la continuer avec le concours de maitres intelligents. ,
« On me confia pour le cours de mes études aux Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. À peine âgée de cinq ans, je fréquentai l’Académie Bourgeoys. On m’inclina tôt à une piété douce et à l’amour du bien ». J’étais d’un tempérament faible et docile, mes maîtresses me formèrent comme elles jugèrent bon : j’aimais l’étude, et mon enfance s’écoula paisible au sein des affections de ma famille et de mes éducatrices. Je terminal mon cours d’études au Mont-Sainte-Marie : ce sanctuaire béni fut pour moi le prélude du Noviciat. Maintes fois j’avais formulé, dans ces heures ou je goûtais le bonheur du devoir accompli, le vœu de me donner à Dieu que je trouvais si bon! Le dévouement actif de mes maitresses me fit apprécier davantage la vie religieuse... A la fin de l’année 1916, je quittais le pensionnat avec la décision d'entrer au Noviciat après un séjour de quelques mois dans ma famille.»
« Cette chose simple et droite » , que furent l’enfance et l’adolescence de notre chère Sœur, allait devenir, désormais et de plus en plus, « pareille à une flûte de roseau » que Dieu se chargerait de « remplir de musique ». Entrée à la C.N.D. le 2 octobre 1917, elle y fit profession le 21 janvier 1920 et commença, dès lors, une brillante carrière de musicienne.
L’Académie Saint-Paul, Arthabaska, l'Académie Saint-Denis et Mégantic bénéficièrent tour à tour de son dévouement et de sa disponibilité. Puis Sorel l’accueillit en 1928. Elle devait y vivre 19 ans, concentrant ses efforts à promouvoir le culte du chant grégorien, à assurer l’essor de la Croisade eucharistique, à rehausser l'éclat des fêtes religieuses et paroissiales, de telle sorte que l’on put qualifier ainsi son efficace collaboration : « un festin de liturgie » …
D'une parfaite dignité auprès de ses élèves - la dignité de l’art - elle. les traitait affectueusement tout en exigeant de chacune le maximum de travail. Ses revues de musique furent toujours un vrai régal artistique et la reconnaissance de ses élèves s’est manifestée concrètement jusqu’à son lit de mort par le réconfort et la présence, à l'heure suprême, de M. l'abbé Gérald Quintal, son ancien élève de Sorel.
Calme et grave - car sa nature l'inclinait vers un bonheur paisible à travers un sens aigu des responsabilités - notre chère Sœur aurait pu faire sienne cette pensée du Père Marie-Alain Couturier : « Un artiste n’a pas le droit d’être un homme comme les autres : plus que les autres, il doit savoir qu’il n'est pas sur la terre pour être heureux- mais pour faire son devoir » Fidèle à cet idéal, S. S.-Jeanne-du-Sacré-Cœur savait garder, vis-à-vis de tout ce qu'elle entreprenait, une angoisse incessante, proche de l’humilité du cœur.
Au mois d'août 1946, notre chère Sœur quittait Sorel pour l'École Normale de Montréal où elle organisa les études de ses élèves musiciennes de façon à ce qu’elles puissent obtenir certificats et diplômes de musique de la Congrégation de Notre-Dame. En 1947, vu sa compétence dans le domaine du Solfège profane et grégorien, Mère Saint-Ignace, Supérieure générale, lui demanda de venir aider aux travaux d'édition que poursuivait alors S. S.-Marie-Théophile. Puis le Mont-Notre-Dame de Sherbrooke devait bénéficier à deux reprises - 1949 et 1957 - de ses dernières années de dévouement auprès des élèves.
« La musique, écrit Georges Duhamel, est faite d'un peu de bruit et de beaucoup de silence. » Âme intérieure s’il en fut, S. S.-.Jeanne-du-Sacré-Cœur savait donner à son art cette tonalité spirituelle qui en assure la réussite. Ce « peu de bruit » que font nos œuvres, elle savait l'envelopper de « beaucoup de silence ›› dans la prière et l’adoration. À travers les joies d’un apostolat fructueux, la chaleur des contacts humains, l’enthousiasme des succès artistiques, Dieu Lui-même se chargeait, parfois, de créer autour d’elle des lacs d’isolement et des zones de silence. Car la maladie fut toujours la compagne inséparable de cette vie toute donnée aux autres. A maintes occasions, cette messagère implacable lui rappela avec une brûlante discrétion, l’exigence divine sans cesse posée sur elle. « Quand le Seigneur permet que, par défaut de santé, nous ne puissions suivre le cours de notre activité, c’est une grâce et un privilège qu’Il nous accorde », écrit-elle sur une page conservée dans son missel pour la mieux méditer... « Simple et droite » jusque dans la maladie, elle accepte cet état de dépendance avec confiance et abandon, comme une voie plus directe vers la sainteté.
En plusieurs circonstances, au cours de sa vie active, S. S.-Jeanne-du-Sacré-Cœur avait prêté son concours à l’Œuvre de Chant liturgique de la Congrégation de Notre-Dame, apportant aux fonctions qui lui étaient assignées, le même souci de perfection qui avait caractérisé son enseignement. C’est au Bureau des études musicales établi à la maison-mère, qu’elle devait vivre ses dernières années, soit de 1959 à 1967. Quelle musicienne de la Congrégation de Notre-Daine n’a pas bénéficié alors de ses bons offices ? Expédition de certificats et de textes d'examensprêts de disques, collaboration intense à l’édition des Livres de Solfège à l’École, etc., tout ce qu’elle faisait était accompli avec amour. Et c’est ici que l’on rejoint une autre pensée de Tagore : « Je dormais et je rêvais que la vie n'était que joie ; je m'éveillai et je vis que la vie n'était que service et je compris que le service était la joie ». Dans son poste effacé, notre chère Sœur se donne alors comme ligne de conduite: « Tous ces « oui» que j’aurai eu la grâce de dire à Dieu dans le détail quotidien seront mon offrande à la messe du lendemain. » Elle expérimente de plus en plus que le secret de la sainteté est de faire feu de tout bois et surtout de celui de la Croix.
« Dieu trempe les âmes comme on trempe une lame : avec l'huile bouillante et l’eau glacée. Il n'est pas d’autre voie, même pour le divin Armurier. » P1ongée en ce creuset, l’humble flûte de roseau se changera en métal précieux. Quelques mois à 1'Infirmerie achèveront la mystérieuse transformation. Dans la sixième Maison mère au 3040, rue Sherbrooke Ouest (1908-1985), le 27 janvier 1967, notre chère Sœur s’éteindra la paix; ayant vécu cette miséricordieuse aventure de la sainteté où seuls triomphent les petits et les humbles; « Seigneur, de par ta grâce immense, j’entre dans ta Maison. »
Que ce témoignage de sincère admiration - auquel pourrait souscrire chacune des musiciennes de la C.N.D. - apporte un peu de réconfort à celle qui lui survit dans notre communauté !
Irène Lachance, C.N.D. (S. S.-Marie-Lauretta)